Arménie : une histoire millénaire entre montagnes, empires et mémoire

Publié le 29 décembre 2025 à 06:58

Au cœur du Caucase, sur un plateau montagneux disputé depuis l’Antiquité, l’Arménie porte l’une des plus anciennes mémoires du monde. Premier État chrétien, carrefour d’empires rivaux, nation sans cesse menacée mais jamais effacée, l’histoire des Arméniens est celle d’une étonnante continuité culturelle, forgée par la foi, la langue, l’exil et la mémoire. Des royaumes antiques aux drames du XXᵉ siècle, jusqu’aux incertitudes géopolitiques actuelles, elle éclaire le destin singulier d’un peuple qui a fait de la survie une civilisation.


L'Arménie éternelle au pied du mont Ararat

(Diego Delso / CC-BY-SA 4.0)

Aux origines : montagnes, royaumes et mythes fondateurs

Le haut plateau arménien, dominé par le mont Ararat, est habité depuis la préhistoire. Dès l’âge du bronze, des sociétés agricoles et pastorales s’y organisent. Entre le IXᵉ et le VIᵉ siècle av. J.-C., le royaume d’Ourartou s’impose comme une puissance régionale, laissant derrière lui forteresses, systèmes d’irrigation et inscriptions cunéiformes. Bien que distinct des Arméniens historiques, Ourartou constitue une matrice politique et territoriale essentielle.

Les Arméniens apparaissent dans les sources antiques à partir du VIᵉ siècle av. J.-C. Hérodote les mentionne comme un peuple apparenté aux Phrygiens. Leur langue, de souche indo-européenne, se différencie progressivement. Très tôt, les récits mythiques – comme celui de Haïk, ancêtre légendaire ayant vaincu le tyran babylonien Bélos – participent à la construction d’une mémoire collective.

Entre Rome et la Perse : l’Arménie, royaume tampon

À partir du Ier siècle av. J.-C., l’Arménie devient un enjeu majeur entre deux empires rivaux : Rome et les Parthes, puis les Sassanides. Sous le règne de Tigrane le Grand (95–55 av. J.-C.), le royaume arménien atteint son apogée, s’étendant de la Méditerranée à la mer Caspienne. Cette puissance éphémère illustre déjà une constante de l’histoire arménienne : la grandeur possible, mais toujours précaire.

En 301 apr. J.-C., l’Arménie devient le premier État à adopter officiellement le christianisme, bien avant l’Empire romain. Ce choix fondateur structure durablement l’identité arménienne. L’invention de l’alphabet arménien par Mesrop Machtots au début du Ve siècle permet la traduction de la Bible et l’essor d’une littérature nationale, scellant le lien entre langue, foi et culture.

Le Moyen Âge : survie et renaissance

Après le partage de l’Arménie entre Byzantins et Perses, puis la conquête arabe au VIIᵉ siècle, les Arméniens conservent une relative autonomie locale. Une nouvelle renaissance politique se produit entre le IXᵉ et le XIᵉ siècle avec le royaume bagratide, centré sur la capitale Ani, surnommée la « ville aux mille églises ».

L’invasion seldjoukide à la fin du XIᵉ siècle bouleverse l’équilibre régional. De nombreux Arméniens migrent vers la Cilicie, sur la côte méditerranéenne, où ils fondent un royaume arménien de Cilicie (XIIᵉ–XIVᵉ siècles), allié des croisés et ouvert aux influences occidentales. Ce royaume, tourné vers la mer, marque une nouvelle adaptation à l’histoire.

Cathédrale Sainte-Mère-de-Dieu  à Ani. l'église du Saint-Sauveur se dresse à l'arrière-plan.
(Antonio, CC BY 2.0)

Entre empires : Ottomans, Perses et diaspora

À partir du XVIᵉ siècle, le monde arménien est partagé entre l’Empire ottoman et la Perse safavide. Privés d’État, les Arméniens développent des réseaux marchands, intellectuels et religieux qui s’étendent de l’Europe à l’Inde. Cette diaspora précoce devient un pilier de leur survie collective.

Dans l’Empire ottoman, les Arméniens sont intégrés au système des millets : tolérés en tant que chrétiens, mais juridiquement inférieurs. Au XIXᵉ siècle, l’affaiblissement ottoman et la montée des nationalismes rendent leur situation de plus en plus précaire. Les réformes promises restent inachevées, tandis que les violences se multiplient.

1915 : le génocide, rupture absolue

En 1915, au cœur de la Première Guerre mondiale, le gouvernement Jeune-Turc orchestre la déportation et l’extermination systématique des Arméniens d’Anatolie. Environ un à un million et demi de personnes périssent. Ce génocide détruit la présence arménienne multimillénaire sur une grande partie de son territoire historique.

Au-delà de l’ampleur du crime, le génocide constitue une rupture anthropologique : villages, églises, traditions locales disparaissent. La diaspora arménienne moderne naît de cette catastrophe, s’étendant du Proche-Orient aux Amériques, de la France à la Russie.

Arménie 1915 : femme pleurant sur son enfant mort 

Une nation sans cesse recommencée

En 1918, une première République d’Arménie voit le jour, mais elle est rapidement absorbée par l’Union soviétique en 1920. Pendant soixante-dix ans, l’Arménie soviétique connaît industrialisation, alphabétisation et urbanisation, au prix d’une forte dépendance politique et d’une mémoire génocidaire étouffée.

La question du Haut-Karabakh, peuplé majoritairement d’Arméniens mais rattaché à l’Azerbaïdjan soviétique, devient une source de tension durable.

Avec l’effondrement de l’URSS, l’Arménie retrouve son indépendance en 1991. Les premières années sont marquées par la guerre du Haut-Karabakh, un blocus régional et une crise économique sévère. Malgré cela, l’État se consolide progressivement.

Les années récentes révèlent une Arménie prise entre aspirations démocratiques, pressions géopolitiques et traumatismes renouvelés. Les conflits de 2020 et 2023 autour du Karabakh ont ravivé un sentiment d’insécurité existentielle, rappelant la vulnérabilité persistante du pays.

L’histoire arménienne n’est ni celle d’une puissance continue, ni celle d’une simple victime. Elle est celle d’un peuple capable de se réinventer sans cesse, en faisant de la culture, de la langue et de la mémoire des outils de survie.

Des monastères médiévaux aux quartiers diasporiques de Marseille ou de Los Angeles, de l’alphabet du Ve siècle aux débats contemporains sur la reconnaissance du génocide, l’Arménie demeure une civilisation en mouvement. Une petite nation par le territoire, mais immense par la profondeur de son histoire.


L’histoire arménienne est marquée moins par la continuité de l’État que par la continuité du peuple.

Raymond Kévorkian


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