Dans de nombreuses civilisations de l’Antiquité, le phallus n’était pas uniquement associé à la sexualité. Il constituait un symbole de vie, de fertilité et de protection, que l’on retrouvait aussi bien dans l’espace domestique que dans le domaine funéraire.

stèles phalliques de tombes
Musée archéologique national, Naples CC BY-NC-SA 2.0)
Dans de nombreuses civilisations de l’Antiquité, le phallus n’était pas uniquement associé à la sexualité. Il constituait un symbole de vie, de fertilité et de protection, que l’on retrouvait aussi bien dans l’espace domestique que dans le domaine funéraire.
Les Étrusques : vitalité face à la mort
Chez les Étrusques, peuple d’Italie centrale, certaines tombes sont décorées de phallus en érection sculptés en relief. Loin d’être provocateurs, ils exprimaient la force vitale face à la mort et servaient de protection apotropaïque contre les esprits malveillants. Le sexe masculin dressé incarnait à la fois la continuité de la lignée et la promesse d’un renouveau.
Rome et la Grèce : des talismans protecteurs
Héritiers et transformateurs des traditions étrusques et grecques, les Romains firent du phallus un motif familier, omniprésent dans leur vie quotidienne. On retrouve ainsi les célèbres fascina : petits phallus en bronze, en os ou en pierre, que l’on portait comme pendentifs ou que l’on suspendait au seuil des maisons. Fascinus était un dieu protecteur de la mythologie romaine, symbole du phallus divin. La fonction des fascina était claire : conjurer le mauvais œil et protéger aussi bien les individus que les familles.
Dans les rues de Pompéi, des phallus sculptés ornaient parfois les façades, indiquant une promesse de prospérité et de fécondité. Loin d’être dissimulé, ce symbole s’exposait au grand jour comme une marque de chance et de vitalité.

Amulette phallique romaine (vers _150 avant J.-C.)
En Grèce, les hermès – piliers de pierre ornés d’un phallus – jalonnaient routes et sanctuaires. Ces représentations d’Hermès protégeaient voyageurs et cités, et leur mutilation à Athènes en 415 av. J.-C. fut vécue comme un sacrilège majeur.
Au-delà de la Méditerranée
En Égypte, le mythe d’Osiris souligne le rôle créateur indispensable du phallus.
En Égypte ancienne, le sexe masculin pouvait être associé à la fécondité divine. Dans le mythe d’Osiris, Seth découpe le dieu en morceaux et Isis parvient à reconstituer son corps à l’exception du phallus, avalé par un poisson. Elle en façonne alors un de substitution, permettant la conception d’Horus. L’épisode souligne la dimension créatrice et indispensable de l’organe sexuel dans la perpétuation de l’ordre cosmique.
En Inde, le lingam de Shiva, toujours vénéré aujourd’hui, symbolise l’énergie créatrice universelle dans une forme stylisée.

Statuette d'Osiris momifié avec un sexe en érection
(Kunsthistorisches Museum, Vienne, Autriche )
Un symbole universel
De l’Étrurie aux temples indiens, en passant par Rome, la Grèce ou l’Égypte, le phallus apparaît comme un symbole universel. Ses significations, si elles varient selon les contextes, convergent vers une même idée : le sexe masculin n’est pas qu’un organe, mais une puissance vitale, capable de protéger, de fertiliser, de marquer le passage d’un monde à l’autre.
Notre regard contemporain, souvent marqué par des tabous hérités de la morale chrétienne, tend à réduire ces images à leur dimension sexuelle. Mais replacées dans leur contexte, elles révèlent combien les sociétés antiques concevaient la sexualité comme liée à la survie, à la continuité de l’ordre social et cosmique, et à la protection contre la mort.

Les symboles sexuels n’expriment pas seulement la fonction biologique de reproduction, mais manifestent la puissance même de la vie, comprise comme énergie cosmique.
Mircea Eliade

Priape au caducée. Fresque de Pompéi, vers -50 avant J.-C. Musée archéologique national, Naples

“hic habitat felicitas” (Pompéi, boulangerie de l'insula de la Maison de Pansa)
( Sailko, CC BY 3.0)
Le livre de référence
Jacques-Antoine Dulaure (1755-1835), historien et archéologue français, a consacré un ouvrage pionnier au culte du phallus dans l’Antiquité. Il y rassemble des sources rares, manuscrits et témoignages, afin d’éclairer l’origine et les transformations de ce symbole dans différentes cultures. L’auteur ne se limite pas à retracer l’histoire de ce culte : il met en évidence ses liens avec les mœurs, les croyances et les institutions des peuples qui l’ont pratiqué, montrant une véritable cohérence entre représentations religieuses et organisation sociale.
Le livre aborde aussi les divinités liées au même motif phallique, établissant leur filiation et leurs variations selon les pays.
L’analyse rappelle la distinction moderne entre le phallus comme symbole et la verge comme organe, et interroge la tendance des sociétés à dissocier les deux. L’auteur inscrit enfin le culte phallique dans une profondeur temporelle, en évoquant la préhistoire du phallus : la célèbre peinture rupestre de Lascaux (–18 000 ans), figurant un homme ithyphallique à tête d’oiseau, pourrait être l’une des premières manifestations symboliques de l’érection dans l’histoire humaine.