Quand les empires humiliés cherchent revanche

Face à la guerre en Ukraine, les parallèles avec les années 1930 se multiplient. Certes Poutine n'est pas Hitler, loin sans faut, mais le rêve de « Grande Russie » du Kremlin s’inscrit dans une logique impériale troublante, qui n’est pas sans rappeler les ambitions pangermanistes d’Adolf Hitler. 


Hitler - Poutine : deux hommes, deux époques, une même tentation impériale.

L’histoire comme argument de guerre

Lorsque Vladimir Poutine lance ses troupes en Ukraine en février 2022, il ne parle ni de conquête ni d’annexion. Il parle d’histoire. D’une Ukraine qui n’aurait jamais été une vraie nation. D’un peuple russe divisé par une machination occidentale. Et surtout d’un empire amputé, qu’il s’agirait de reconstituer au nom d’une mémoire partagée.

Dans les années 1930, Adolf Hitler déploie un raisonnement similaire : la nation allemande a été injustement démembrée à Versailles. L’Anschluss avec l’Autriche, les Sudètes, puis la Pologne, ne seraient que des rectifications historiques. Le pangermanisme n’est pas présenté comme un projet d’expansion, mais comme la restauration d’une vérité oubliée.

La revanche des empires blessés

Les deux leaders parlent depuis une blessure. Pour Hitler, celle de la défaite de 1918 et de l’humiliation du traité de Versailles. Pour Poutine, celle de l’effondrement de l’URSS en 1991, qu’il qualifie de « plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ».

Ce ressentiment devient la matrice d’un projet politique. Loin de s’adresser au monde, il parle d’abord aux siens : au peuple meurtri, nostalgique, inquiet. Il promet de restaurer l’honneur, de redonner à la nation sa fierté et sa puissance. Et pour cela, il faut, inévitablement, corriger les frontières.

Des peuples en otage

L’histoire devient alors un piège. Ce n’est plus un savoir, mais un outil de domination. Les minorités russophones deviennent pour Poutine les justifications d’une politique d’ingérence, comme les Volksdeutsche (Allemands de l’étranger) l’étaient pour le IIIe Reich. Il ne s’agit plus de protéger, mais de soumettre.

Dans les deux cas, la guerre se pare d’un vernis moral. On dit vouloir sauver un peuple, mais on l’utilise comme alibi. La carte géopolitique est redessinée au nom d’un passé instrumentalisé, qui nie la légitimité des États contemporains.

"Quand le passé devient projet politique, la guerre n’est jamais loin."

Une leçon pour notre temps

L’objectif ici n’est pas de plaquer les années 1930 sur le présent. Le nazisme est une idéologie racialiste, totalitaire, exterminatrice. Le régime russe, aussi autoritaire soit-il, n’en est pas là. Mais il y a un mécanisme commun :

  • une mémoire blessée ;

  • une obsession frontalière ;

  • une figure de chef restaurateur ;

  • une lecture mythique du passé.

Ce sont ces éléments qui devraient nous inquiéter. Ce sont eux qui rendent la guerre pensable. L’histoire n’est pas un simple décor : elle est devenue un champ de bataille idéologique.

L’Europe face à ses fantômes

Trop longtemps, l’Europe a cru en la fin de l’histoire. En la paix par le commerce. En la démocratie comme horizon naturel. Mais les empires ne meurent pas toujours. Ils se recomposent, sous d’autres formes, portés par d’autres récits. Et lorsqu’ils trouvent un homme prêt à endosser leur costume, les conséquences peuvent être terribles.

Il ne s’agit pas de crier au loup, mais d’ouvrir les yeux. Car quand un dirigeant rêve tout haut de reconstituer un empire, ce n’est jamais une formule poétique. C’est un programme.

Conclusion – En bref

Hitler et Poutine ne sont pas identiques. Mais tous deux incarnent cette tentation régressive qui consiste à faire de la puissance perdue une boussole politique. À invoquer le passé non pour le comprendre, mais pour l’imposer. Et à transformer le souvenir en champ de bataille.


Noir Lumière : la guerre est toujours perdue...

Qui contrôle le passé contrôle l'avenir. Qui contrôle le présent contrôle le passé.

George Orwell, dans "1984"

 


A lire

Depuis le 24 février 2022, l’ordre mondial vacille. L’idée qu’une guerre de grande ampleur est encore possible, qui ne soit pas seulement idéologique et économique mais implique des colonnes de tanks, des vagues de missiles, des tranchées et des dizaines de milliers de morts, s’est imposée, et, malgré l’enlisement relatif des combats en Ukraine, d’importants basculements géostratégiques paraissent annoncer encore d’autres affrontements.

Philippe Fabry compte au nombre des rares observateurs à avoir anticipé ce retour de la guerre entre Etats industrialisés, et spécialement l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cette clairvoyance ne fut pas le résultat d’un talent mais de l’emploi d’un outil : la recherche et l’analyse des récurrences historiques qui permettent de bâtir des modèles et d’identifier, sous l’écume des faits et derrière le théâtre des relations internationales, les tendances lourdes qui saisissent les peuples et dictent les actions de leurs dirigeants.

Depuis sa décision d’envahir l’Ukraine, Vladimir Poutine est fréquemment comparé à Hitler, l’incarnation de l’impérialisme brutal dans la culture occidentale. Cette comparaison est-elle fondée, et dans quelle mesure ? Peut-elle s’étendre à d’autres figures historiques ?

Ce livre répond à ces questions, et montre que l’on dispose de suffisamment d’exemples pour bâtir un modèle permettant d’anticiper les prochains développements de la confrontation géostratégique globale qui a débuté, et qui accouchera d’un nouvel ordre mondial.
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Ils voulaient la paix, ils eurent le déshonneur. Et la guerre