En 1907, les rues de Londres résonnaient déjà du silence feutré des moteurs électriques. Les premiers bus électromobiles, élégants et silencieux, sillonnaient la capitale britannique à une époque où le pétrole n’avait pas encore conquis le monde.

 


En 1907, les rues de Londres résonnaient déjà du silence feutré des moteurs électriques. Les premiers bus électromobiles, élégants et silencieux, sillonnaient la capitale britannique à une époque où le pétrole n’avait pas encore conquis le monde. Pas d’échappement, pas de rugissement de moteur : seulement le bourdonnement discret de l’avenir en marche. Et pourtant, à peine quelques années plus tard, ces véhicules disparurent des rues comme une parenthèse oubliée. Pourquoi l’électrique, si prometteur, fut-il abandonné au profit du moteur à explosion ? Alors que le XXIe siècle redécouvre avec enthousiasme les vertus de la mobilité électrique, l’histoire méconnue des bus électriques londoniens de 1907 résonne comme une mise en garde : celle d’un progrès possible, précocement entrevu, puis sacrifié sur l’autel du pétrole et de la rentabilité. Retour sur une transition énergétique… avortée.

Electrobus en 1907 à Londres

Un air de modernité silencieuse

Au tournant du XXe siècle, Londres est une ville en pleine effervescence. La capitale britannique voit coexister tramways, fiacres tirés par des chevaux, voitures thermiques balbutiantes… et, fait moins connu, des bus entièrement électriques , les « électromobiles » — des véhicules lourds, alimentés par des batteries au plomb — sont mis en circulation par la London Electrobus Company. Ils offrent un service propre, silencieux, exempt de fumées ou de secousses, sur des lignes desservant notamment Victoria Station et Liverpool Street.

L’accueil est excellent. Le public apprécie leur confort et leur fiabilité, les ingénieurs vantent leur modernité. À une époque où les rues londoniennes sont encore souillées par des tonnes de crottin et saturées de bruit, l’électrique semble porter une promesse de ville plus propre, plus saine, plus moderne. Le futur paraît tout tracé.

Une technologie déjà ambitieuse

Les bus électriques n’étaient pas des gadgets expérimentaux : ils assuraient un service régulier, avec des performances honorables pour l’époque. Leur autonomie atteignait environ 30 à 40 kilomètres, ce qui suffisait pour les trajets urbains courts. Leurs batteries pouvaient être remplacées rapidement dans les dépôts, un système d’échange anticipant les solutions de "battery swapping" envisagées aujourd’hui en Chine ou ailleurs.

À l’époque, l’électricité est perçue comme une force prometteuse, presque magique. Elle alimente déjà les tramways, les premiers métros et certains taxis (voir encart colonne de droite). L’idée d’un transport urbain électrifié n’est pas marginale : elle est débattue, expérimentée, parfois même mise en œuvre avec ambition. Londres n’est pas seule : New York, Berlin ou Paris mènent des essais comparables.

Une trajectoire brutalement interrompue

Et pourtant, à peine deux ans après leur mise en service, les électrobus londoniens disparaissent. La London Electrobus Company fait faillite en 1909. En apparence, il s’agit d’un simple revers commercial. Mais derrière cette disparition se cachent des dynamiques plus profondes, structurelles, qui vont conditionner un siècle de mobilité urbaine.

D’abord, la technologie reste fragile. Les batteries plomb-acide sont lourdes, lentes à recharger, coûteuses à remplacer. Elles limitent l’autonomie et alourdissent les véhicules. Si la solution reste viable sur de courtes distances, elle peine à convaincre sur le long terme face à la montée en puissance du moteur à essence.

Ensuite, le réseau de recharge n’existe pas. Il faut disposer d’ateliers spécialisés, de personnel formé, d’infrastructures capables de fournir l’électricité nécessaire. À l’inverse, les carburants fossiles — pétrole et essence — bénéficient d’une logistique naissante mais rapidement performante, soutenue par les grandes compagnies pétrolières et les gouvernements.

Enfin, et surtout, le marché et les capitaux se tournent vers le thermique, perçu comme plus rentable, plus souple, plus adapté à une croissance rapide. L’histoire des électrobus se termine dans l’indifférence, voire dans le scepticisme : à quoi bon s’embarrasser de batteries et d’électricité quand l’essence semble si abondante et facile d’accès ?

Le poids des choix industriels et politiques

Il ne faut pas sous-estimer le rôle des choix industriels, économiques et politiques dans cette bifurcation. Au début du XXe siècle, les grandes villes occidentales investissent massivement dans les moteurs thermiques. La standardisation de la production automobile, impulsée par Ford aux États-Unis, favorise les véhicules à essence. Le lobbying des compagnies pétrolières s’intensifie. Les gouvernements financent des infrastructures routières conçues pour le moteur thermique, ignorant les expérimentations électriques jugées trop marginales.

Ainsi, ce n’est pas seulement une technologie qui échoue : c’est une orientation civilisationnelle qui s’impose. Le pétrole devient le carburant roi du XXe siècle, et l’électrique tombe dans l’oubli. Jusqu’à ce que les crises énergétiques, la pollution urbaine et l’urgence climatique, un siècle plus tard, viennent réveiller cette alternative longtemps négligée.

Un siècle d’éclipse

Pendant des décennies, la voiture électrique reste une curiosité. Quelques modèles de niche émergent, mais sans jamais menacer la suprématie du thermique. Ce n’est qu’au tournant des années 2010-2020, avec les progrès fulgurants des batteries lithium-ion, les avancées en électronique embarquée et les politiques publiques en faveur de la transition écologique, que la mobilité électrique connaît une renaissance.

Ironie de l’histoire : les problématiques actuelles — réduction des émissions, bruit, santé publique — sont exactement celles que les électrobus de 1907 contribuaient déjà à résoudre. Mais à l’époque, ni la pollution atmosphérique, ni le changement climatique, ni la dépendance aux énergies fossiles n’étaient perçus comme des menaces globales.

Et si… ?

Que se serait-il passé si Londres — et les autres grandes capitales — avaient persévéré dans la voie de l’électromobilité ? Si l’on avait investi dans la recherche sur les batteries dès le début du siècle ? Si les réseaux électriques urbains avaient été pensés pour alimenter non seulement les foyers, mais aussi les véhicules ? L’histoire, comme toujours, ne se réécrit pas. Mais ces hypothèses révèlent combien le progrès technologique ne dépend pas uniquement de l’ingéniosité, mais aussi de choix collectifs, économiques et politiques.

Conclusion : mémoire du futur

L’histoire des bus électriques de Londres n’est pas celle d’un échec technologique, mais d’un futur écarté. Elle nous rappelle que toute transition est réversible, qu’une innovation ne triomphe que si les conditions — économiques, culturelles, institutionnelles — lui sont favorables.

À l’heure où les villes du monde entier investissent à nouveau dans la mobilité électrique, ce passé oublié nous invite à la lucidité. Ce que nous appelons aujourd’hui “nouveau” était déjà là, en germe, il y a plus d’un siècle. Encore faut-il savoir l’écouter.


Ce n’est pas le progrès qui manque, c’est la mémoire

Anonyme


Les taxis de Londres également électriques dès 1897!

Le taxi électrique a fait son apparition à Londres en dès 1897. Conçu par Walter Bersey,  sa vitesse ne dépassait cependant pas les 20km/h.

Les Londoniens surnommaient ce taxi  le colibri en raison de sa couleur et de son bourdonnement électrique. 
La cabine était dotée d'un éclairage électrique à l'intérieur et à l'extérieur et était capable de transporter deux passagers.  En 1897 la flotte se composait de 12 véhicules.
Les batteries devaient être régulièrement remplacées dans la seule station de recharge de Londres. Ces batteries avaient par ailleurs un coût élevé et divers problèmes techniques pesaient sur la rentabilité de ces taxis.  Les investisseurs durent mettre un terme à l’expérience au bout de 2 ans. Le temps de l’électrique n’était pas encore venu.

Taxi électrique de Walter Bersey

Taxi électrique de Walter Bersey
(Trustees of Motor Museum, CC BY 4.0)


La première voiture à franchir le cap des 100 Km/h est électrique

Le 29 avril 1899, la “Jamais Contente”, conçue par l’ingénieur belge Camille Jenatzy est devenue la première voiture à atteindre la vitesse de 100 km/h sur le circuit d’Achères en région parisienne. Son nom “Jamais Contente” faisant référence à la quête incessante de Jenatzy pour repousser les limites de la vitesse. Ce véhicule était propulsé par un moteur électrique...

La "Jamais contente" en 1899
(Photo :Jules Beau, CC0)



L’histoire du futur

La révolution technologique, qui se déroule sous nos yeux, va bouleverser nos modes de vie et refonder la civilisation humaine. L'ouvrage décrit les bouleversements auxquels la génération actuelle sera confrontée dans les années à venir et durant lesquelles le destin de l’humanité va se jouer. Au-delà d’une synthèse remarquable sur tous les changements en cours dans notre monde actuel, les auteurs incitent à la réflexion. Quelle société sommes-nous en train de construire ? Quel futur ne voudrait-on pas ? Quel avenir serait souhaitable ?