L’occupation de 1815 est l’autre défaite de Napoléon : celle de la France tout entière, ramenée de force dans le rang par ses voisins victorieux. Elle symbolise la fin d’un cycle commencé en 1789 et clôt brutalement vingt-cinq ans de bouleversements révolutionnaires et impériaux. Trois ans plus tard, la France retrouve sa liberté diplomatique, mais au prix d’une humiliation que beaucoup n’oublieront pas.

Carte de la France sous occupation des Alliés de 1815 à 1818
(Ritournelle, CC0, via Wikimedia Commons)
Waterloo, 18 juin 1815. L’armée française s’effondre face aux Britanniques de Wellington et aux Prussiens de Blücher. Quatre jours plus tard, Napoléon abdique pour la seconde fois. Mais la chute de l’Empereur n’entraîne pas seulement son exil à Sainte-Hélène : elle plonge la France dans une période d’humiliation rarement évoquée, celle de l’occupation étrangère de 1815 à 1818. Pendant trois ans, 150 000 soldats alliés stationnent sur le sol français, aux frais du pays. Une autre défaite, plus silencieuse mais tout aussi lourde de conséquences.
Le choc de la défaite
Bien avant que le concept moderne de « race » n’apparaisse, les sociétés anciennes ont distingué, classé, et parfois méprisé ceux qui n’étaient pas « comme eux ».
La campagne de Belgique a duré à peine quelques jours. Le rêve des Cent-Jours s’effondre à Waterloo, et avec lui l’illusion d’un retour durable de l’Empire. Le 7 juillet 1815, les troupes de la coalition entrent dans Paris. C’est la seconde fois en quinze mois que la capitale est occupée. Les Parisiens assistent, amers, au retour de Louis XVIII sous la protection des baïonnettes étrangères.
Mais cette fois, les vainqueurs ne veulent plus se montrer cléments. En 1814, ils avaient laissé à la France des frontières encore honorables, celles de 1792. En 1815, ils entendent punir et surveiller.
Le second traité de Paris : une punition exemplaire
Signé le 20 novembre 1815, le second traité de Paris est beaucoup plus sévère que le précédent. La France est contrainte à :
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revenir aux frontières de 1790, perdant des places fortes stratégiques comme Landau, Philippeville ou Sarrelouis ;
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verser une indemnité colossale de 700 millions de francs-or, à payer en cinq ans ;
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subir l’occupation de 150 000 soldats étrangers répartis dans l’Est et le Nord du pays, logés et nourris par la population.
Ce n’est pas seulement une sanction : c’est un moyen d’empêcher tout retour de flamme révolutionnaire ou impériale.
Vivre sous l’occupation
De 1815 à 1818, la vie quotidienne de milliers de villages français est bouleversée. Les Prussiens, en particulier, prennent position en Lorraine et en Champagne. Animés d’un désir de revanche après les humiliations subies de la main de Napoléon, ils se montrent impitoyables : réquisitions, exactions, humiliations.
Les Britanniques, plus disciplinés, occupent la région de Cambrai. Les Autrichiens et les Russes se partagent la Franche-Comté, le Dauphiné et l’Alsace. Partout, les habitants doivent nourrir, loger et supporter ces troupes étrangères. Le climat est à la fois celui de la résignation et de la rancœur.
L’art de se libérer : Richelieu diplomate
Prévue pour cinq ans, l’occupation ne dure finalement que trois ans. La France doit cette sortie rapide à l’habileté du duc de Richelieu, président du Conseil. Il obtient des emprunts internationaux pour payer plus vite les indemnités, et réussit à convaincre les grandes puissances que la France est désormais inoffensive.
En novembre 1818, lors du congrès d’Aix-la-Chapelle, les Alliés acceptent d’évacuer le territoire français. La France est réintégrée dans le concert des nations européennes. Mais elle doit aussi adhérer à la Sainte-Alliance, ce système de surveillance monarchique mis en place pour étouffer toute résurgence révolutionnaire.
Une humiliation durable
L’occupation de 1815-1818 reste une blessure profonde. Elle alimente l’image d’un régime bourbonien fragile, imposé « par l’étranger ». Elle nourrit aussi le souvenir de Napoléon, transformé en héros national trahi et remplacé par des rois impopulaires.
Dans les campagnes, la mémoire des réquisitions prussiennes marque durablement les esprits. Ce ressentiment prépare le terrain à une longue tradition d’hostilité franco-allemande, qui ressurgira avec force après 1870.

Blücher et Wellington mettent Napoleon à la poubelle
(caricature anglais de l'époque, CC0)

La France était comme un grand corps malade, couvert de plaies, et chaque soldat étranger qui la foulait aux pieds lui arrachait un cri.
Chateaubriand

Pour l'histoire de l’occupation de la France entre 1815 et 1818, les Mémoires d’outre-tombe restent la source la plus riche, car Chateaubriand y mêle récit historique, témoignages personnels et réflexions politiques.
Dans cet ouvrage majeur, Chateaubriand évoque à de nombreuses reprises l’occupation étrangère. Il y décrit notamment l’humiliation nationale, les violences et les pillages commis par les troupes coalisées. Il dénonce la présence de plus d'un million de soldats étrangers sur le sol français, multipliant "brutalités, violences, pillages" et exprime son indignation face à cette situation
Paris sous l’occupation (1815)

Les occupants sur les allées des Champs Élysées (Bibliothèque nationale de France)
Juillet 1815, les troupes prussiennes et britanniques entrent dans Paris. Pour la seconde fois en quinze mois, la capitale vit sous la présence de l’ennemi. Les rues bruissent d’accents étrangers, les cafés et théâtres voient affluer des officiers en uniforme rouge ou en casque à pointe.
Les Parisiens observent ces vainqueurs avec méfiance. Les Prussiens de Blücher suscitent la crainte : on raconte que le vieux maréchal voulait détruire le pont d’Iéna, symbole de la gloire napoléonienne. Seule l’intervention du duc de Wellington évite cette humiliation : il fait rebaptiser le monument « pont de l’École militaire », ruse qui sauve l’ouvrage.
Les Anglais, plus disciplinés, inspirent moins de rancune. On les croise sur les boulevards, parfois curieux de découvrir la capitale des Lumières qu’ils n’avaient connue jusqu’ici qu’en ennemis.
Cette cohabitation forcée n’efface pas l’amertume : beaucoup de Parisiens voient dans le retour de Louis XVIII un pouvoir imposé par l’étranger. L’occupation de 1815 restera longtemps dans les mémoires comme un temps d’humiliation et de désarroi.