Et si la Russie n’avait jamais perdu la guerre froide ?

Publié le 1 juillet 2025 à 11:17

Loin d’avoir été enterrée, la guerre froide s’est métamorphosée. Et dans cette nouvelle phase, plus diffuse, la Russie semble mieux armée que l’Occident pour durer.

Avec la chute de l’URSS, l’Occident s’est convaincu que la démocratie libérale avait triomphé une fois pour toutes. Mais à Moscou, la lecture fut toute autre. La défaite fut vécue non comme une conversion, mais comme une humiliation historique, un effondrement qu’il faudrait tôt ou tard corriger.

Depuis lors, la Russie n’a cessé de dénoncer l’élargissement de l’OTAN, les interventions occidentales unilatérales, et l’ingérence dans les pays de l’ex-espace soviétique. Loin d’abandonner le logiciel géopolitique de la guerre froide, elle l’a adapté à un monde post-idéologique.

Le clivage entre capitalisme et socialisme a cédé la place à un autre affrontement : celui entre un ordre international libéral, revendiquant des valeurs universelles, et un bloc souverainiste, défendant des identités enracinées et une multipolarité pragmatique.

Dans cette recomposition, la Russie n’incarne plus un modèle de société à exporter, mais une forme de résistance à l’ingérence. C’est ce qui la rend audible dans de nombreuses régions du monde, du Sahel à l’Asie centrale.

La Russie n’a ni le PIB, ni la population, ni l’innovation technologique de l’Occident. Mais elle possède ce que les grandes puissances libérales ont perdu : une stratégie à long terme, une hiérarchie des priorités, une tolérance au sacrifice.

Alors que les États-Unis ,et l'Occident en général, multiplient les fronts, Moscou concentre ses efforts, mise sur la résilience, accepte les pertes. Dans une guerre d’usure, cette endurance peut faire la différence.

La guerre en Ukraine a mis en lumière une vérité stratégique oubliée : la guerre se gagne aussi dans les usines.

Contrairement à l’image d’une Russie économiquement exsangue, les sanctions occidentales ont forcé le pays à réindustrialiser certains secteurs clés. Le complexe militaro-industriel, hérité de l’URSS, n’a jamais été totalement démantelé. Depuis 2022, la Russie a intensifié sa production d’armement à une échelle que même les pays de l’OTAN peinent à suivre.

Selon les données disponibles, la Russie produit actuellement jusqu’à 4 fois plus d’obus d’artillerie que les États-Unis et l’Europe réunis, tout en maintenant une capacité de production autonome en chars, missiles et drones. La société russe, bien que moins avancée technologiquement, accepte plus facilement les privations et la mobilisation de guerre, dans une logique de sacrifice collectif héritée du passé soviétique et tsariste.

Pendant ce temps, les chaînes d’approvisionnement occidentales s’enlisent, leurs arsenaux s’épuisent, et la reconversion industrielle patine. L’économie libérale, optimisée pour le marché, se révèle mal préparée à l’effort de guerre.

Le régime de Vladimir Poutine concentre les critiques occidentales : autoritaire, opaque, répressif. Pourtant, il a su maintenir une stabilité que nombre de démocraties peinent à retrouver. Depuis 2000, la Russie n’a connu qu’un seul visage au pouvoir. Les grandes orientations stratégiques ne varient pas.

À l’inverse, les démocraties libérales semblent gouvernées par l’instant : élections permanentes, scandales médiatiques, arbitrages électoraux de court terme. Ce déficit de projection handicape leur capacité à mener des conflits prolongés.

En Afrique, en Amérique latine, en Asie, la voix russe trouve un écho inattendu. Elle parle un langage que l’Occident ne parle plus : respect de la souveraineté, refus de l’universalité imposée, mémoire des humiliations.

La Russie ne vend pas un avenir radieux. Elle propose une alliance d’intérêts contre l’arrogance perçue de l’Occident. Et dans un monde post-colonial, où les interventions militaires humanitaires ont perdu leur crédit, ce message passe.

Gagner la guerre froide aujourd’hui ne signifie pas dominer le monde, mais survivre à l’effondrement de l’ordre issu de 1945. Et sur ce terrain, Moscou a des atouts : une population aguerrie, une économie militarisée, une stratégie sans illusions.

À l’inverse, l’Occident semble parfois frappé de fatigue politique, d’oubli historique et de fragmentation intérieure. Son avance technologique ne compense plus ses fragilités structurelles.

La guerre froide du XXIe siècle n’oppose plus deux visions du bonheur, mais deux visions du temps : l’immédiateté libérale contre la lenteur stratégique. Et dans ce duel silencieux, le vainqueur ne sera peut-être pas celui qui convainc, mais celui qui tient.

Jacques Carles

 


L’histoire est un guide pour naviguer dans les temps troubles. Sans elle, nous avançons à l’aveugle.

David McCullough,



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