L’histoire ne se répète pas, mais elle rime

Publié le 1 mai 2025 à 10:21

À défaut de rejouer les mêmes scènes, l’histoire compose des variations — et c’est dans ces échos que se loge notre lucidité.

Parmi les aphorismes les plus souvent cités en histoire, celui attribué à Mark Twain – « l’histoire ne se répète pas, mais elle rime » – résonne avec une acuité singulière à notre époque. À l’heure où les secousses du monde contemporain nous donnent parfois l’impression de revivre les errements du passé, il est tentant d’y voir des répétitions pures et simples. Pourtant, l’histoire ne revient jamais à l’identique. Elle réinvente ses motifs, ses drames et ses figures, en les adaptant à des contextes nouveaux. Elle ne reproduit pas, elle compose des variations.

Prenons l’exemple de l’entre-deux-guerres, souvent évoqué depuis quelques années en filigrane des discours politiques ou médiatiques. La montée des nationalismes, le repli identitaire, la fragilisation des démocraties libérales, les effets délétères de crises économiques profondes – autant d’éléments qui évoquent les années 1930. Mais il serait naïf de superposer les situations. L’Europe d’alors sortait d’une guerre totale, elle n’était pas encore intégrée dans un marché commun ou un espace diplomatique comme l’Union européenne ; les sociétés étaient majoritairement rurales, les communications lentes, les structures politiques encore marquées par le XIXe siècle. Aujourd’hui, c’est dans un monde hyperconnecté, surinformé, écologiquement menacé et technologiquement bouleversé que les tensions s’expriment. Les rimes existent, mais les vers sont autres.

La pandémie mondiale du COVID-19 a elle aussi fait ressurgir des échos historiques. On a convoqué la grippe espagnole de 1918, les quarantaines médiévales, les peurs collectives liées à l’invisible. Mais qui pourrait comparer honnêtement la gestion sanitaire du XXIe siècle, avec ses vaccins à ARN messager, ses chaînes logistiques mondialisées, ses plateformes numériques, à celle d’un monde encore marqué par la Première Guerre mondiale ? Ce ne sont pas les événements qui se répètent, mais les angoisses humaines, les tentations de repli, les réflexes d’exclusion… et parfois, heureusement, les élans de solidarité.

Même le spectre de la guerre, que l’on croyait éloigné du continent européen, a resurgi avec le conflit en Ukraine, provoquant une onde de choc mémorielle. Là encore, les analogies affluent : retour d’une guerre de tranchées, affrontement d’empires, résurgence de l’impérialisme. Mais si Poutine convoque l’histoire, ce n’est pas pour la répéter, c’est pour la manipuler. Le passé devient une arme politique, un récit façonné à des fins contemporaines. Et cela nous rappelle une chose essentielle : ce ne sont pas les faits du passé qui riment avec le présent, mais ce que nous en faisons.

Ce jeu de résonances, d’échos, de figures familières dans des décors inédits, constitue le sel du travail historien. Ce n’est pas en cherchant des répétitions mécaniques que l’on comprend l’histoire, mais en décelant les structures profondes, les dynamiques récurrentes, les logiques de domination, de résistance, d’émancipation. C’est là que résident les véritables rimes : dans la manière dont les sociétés humaines affrontent les bouleversements, redéfinissent leurs normes, réinventent leur avenir à partir de ressources anciennes.

L’histoire n’est pas un sablier qui se retourne. C’est un fleuve, sinueux, parfois torrentiel, parfois souterrain, dont les méandres peuvent nous surprendre. Les rimes du passé ne doivent pas nous piéger dans un déterminisme nostalgique ou fataliste, mais nous alerter, nous armer intellectuellement. Elles nous invitent à être attentifs aux signaux faibles, aux répétitions de motifs sociaux, économiques ou politiques, sans tomber dans le piège du mimétisme.

Dans ce blog, nous explorerons justement ces rimes de l’histoire. De la Commune de Paris aux révoltes sociales contemporaines, des empires déclinants aux tensions géopolitiques du XXIe siècle, des grandes migrations de l’Antiquité aux déplacements contraints d’aujourd’hui. Car comprendre les rimes du passé, c’est se donner les moyens de ne pas chanter en chœur des refrains tragiques.


L’histoire est un guide pour naviguer dans les temps troubles. Sans elle, nous avançons à l’aveugle.

David McCullough,



Les chants du dedans d'Amalfi