Comment nos ancêtres ont façonné, bien avant l’histoire, les codes, tabous et pratiques qui marquent encore la sexualité contemporaine.
Bien avant l’apparition des premiers récits écrits, avant les civilisations, les dieux et les morales, la sexualité structurait déjà la vie sociale des hominidés. Loin d’être un simple instinct reproductif, elle fut – dès la Préhistoire – un langage, un outil politique, un ciment pour la cohésion du groupe. Explorer la sexualité préhistorique, c’est dévoiler les premiers fondements de nos comportements contemporains : l’origine des genres, des tabous, de la séduction et du soin. Une histoire silencieuse, sans mots, mais essentielle.
La Vénus de Willendorf (vers 30 000 av. J.-C.) : une des nombreuses Vénus préhistoriques, premiers symboles de la fertilité et de l’identité sexuelle. Photo : MatthiasKabel, (CC BY-SA 3.0 (
Le sexe avant l’histoire : une question anthropologique
Parler de sexualité préhistorique relève du défi : il n’existe ni scène figée, ni « témoignage » direct, seulement des indices – os, outils, mythologies protohistoriques, comparaisons avec les primates – qui permettent de reconstituer des comportements.
Pour autant, de grands axes émergent.
La sexualité humaine s’est différenciée très tôt de celle des autres primates par trois traits majeurs :
-
la disponibilité sexuelle permanente, absente chez la plupart des mammifères ;
-
la formation de liens affectifs durables, souvent associés à la biparentalité ;
-
l’importance du social dans la conduite sexuelle, entre coopération, interdits et rituels.
Ces caractéristiques ne relèvent pas du hasard : elles sont le produit de transformations biologiques et culturelles entamées il y a plusieurs millions d’années.
Des corps qui racontent : évolution, dimorphisme et stratégies sexuelles
Le corps des Homo sapiens est un palimpseste évolutif.
La disparition de l’œstrus visible chez les femmes – contrairement aux femelles chimpanzés ou babouins – a profondément modifié la dynamique sexuelle. Elle a favorisé :
-
la multiplication des interactions sexuelles, déconnectées strictement de la reproduction ;
-
la création de liens de couple plus stables, utiles à l’élevage de petits très dépendants ;
-
la coopération élargie au sein du groupe, car la sexualité devenait aussi un mécanisme d’apaisement et de solidarité.
Le dimorphisme sexuel modéré d’Homo sapiens – bien moindre que chez les grands singes – suggère également des modèles sociaux moins polygynes et plus égalitaires que ce que l’on observe chez les gorilles ou orangs-outans.
La sexualité n’était pas un monopole masculin, mais un champ de négociation continue entre partenaires.
Bâton percé gravé figurant deux phallus, vers -15 000 ans (grotte d'Abzac, Les Eyzies, Dordogne, Franc).
(© Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons)
Séduction et culture : l’apparition du symbolique
Avec l’émergence du langage, de l’art et du symbolisme, il y a 100 000 ans et plus, la sexualité a quitté le seul domaine biologique pour devenir un espace culturel.
Les premières parures perforées, les ocres rouges appliqués sur le corps, les scarifications ou tatouages supposés, peuvent être lus comme autant de marqueurs sexuels et identitaires. Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs encore présentes au XXe siècle – Hadza, San, Inuit d’avant le contact –, la séduction est un processus long, ritualisé, souvent public.
Il est probable qu’il en allait de même au Paléolithique.
La sexualité devient alors un vecteur de narration : on se raconte à travers le corps.
Et avec elle naissent les premiers interdits, nécessaires pour réguler les tensions au sein de groupes réduits, où tout le monde vivait à proximité. Les tabous – notamment l’exogamie – apparaissent comme des innovations sociales pour éviter la rivalité permanente.
La vie sexuelle des groupes préhistoriques : diversité, souplesse, créativité
Les sociétés préhistoriques n’étaient pas uniformes : la diversité était la règle.
En s’appuyant sur les chasseurs-cueilleurs contemporains, les anthropologues observent une grande variété de modèles :
-
relations multiples successives avant stabilisation d’un couple ;
-
polyandrie partielle, où plusieurs hommes participent à l’éducation d’un enfant ;
-
sexualité pré-maritale fréquente ;
-
autonomie sexuelle importante des femmes, parfois plus que dans les sociétés historiques ultérieures.
Contrairement aux idées reçues forgées aux XIXe et XXe siècles, la domination masculine n’est pas le schéma originel de l’humanité, mais une construction plus récente, surtout néolithique.
Entre plaisir et pouvoir : les enjeux sociaux du sexe
La sexualité préhistorique est aussi une question de pouvoir – mais pas au sens hiérarchique.
Dans les groupes d’Homo sapiens, le sexe fut probablement :
-
un moyen d’établir des alliances ;
-
un outil de régulation émotionnelle ;
-
un rituel de rapprochement entre sous-groupes ;
-
un mécanisme de résolution de conflits (comme chez les bonobos, nos cousins proches).
Tout porte à croire qu’elle servait à amortir les tensions, à tisser la solidarité et à stabiliser les groupes nomades.
Dans un monde où la survie dépendait de l’entraide, la sexualité fut un fil discret mais essentiel.
les héritages invisibles de nos ancêtres
Comprendre la sexualité préhistorique, ce n’est pas projeter nos normes modernes dans le passé : c’est reconnaître que beaucoup de ce que nous considérons comme « naturel » est le résultat d’un long travail évolutif et culturel.
La liberté sexuelle, les tabous, les identités de genre, la séduction, le couple et même l’idée de fidélité : tout cela est le produit d’expérimentations vieilles de dizaines de millénaires.
Alors que nos sociétés questionnent aujourd’hui les normes sexuelles, les modèles familiaux et les identités, le regard sur la Préhistoire nous rappelle une vérité essentielle : l’humanité n’a jamais été monolithique.
Les premiers Homo sapiens vivaient déjà dans la pluralité, l’inventivité et l’adaptabilité.
Peut-être est-ce là leur plus précieux héritage.
La sexualité précède les tabous, elle précède la morale : elle précède l’histoire.
Chris Knight
A lire ou à écouter (livre audio)
Best-seller mondial
Foisonnant d'érudition, s'appuyant sur des recherches novatrices, leur ouvrage dévoile un passé humain infiniment plus intéressant que ne le suggèrent les lectures conventionnelles. Il élargit surtout nos horizons dans le présent, en montrant qu'il est toujours possible de réinventer nos libertés et nos modes d'organisation sociale
À Lire
La sexualité s'apprend, et il n'est jamais trop tard pour s'éduquer. D'où la nécessité d'un ouvrage de référence pour les adultes : > Amazon
Véritable phénomène d'édition, traduit dans une trentaine de langues, Sapiens est un livre audacieux, érudit et provocateur qui remet en cause tout ce que nous pensions savoir sur l'humanité : nos pensées, nos actes, notre héritage... et notre futur.
> disponible aussi en livre audio.
21 leçons pour le XXIe siècle nous confronte aux grands défis contemporains. Pourquoi la démocratie libérale est-elle en crise ? Sommes-nous à l'aube d'une nouvelle guerre mondiale ? Que faire devant l'épidémie de "fake news" ? Quelle civilisation domine le monde : l'Occident, la Chine ou l'Islam ? Que devons-nous enseigner à nos enfants ?