Les causes de la Première Guerre mondiale : un débat toujours vivant


Cent ans après l’armistice, les origines de Première Guerre mondiale continuent d’alimenter un débat historique intense. Alors qu’un temps l’argument d’une responsabilité unique — celle de Empire allemand — semblait incontestable, une approche plus nuancée s’est imposée, redistribuant les cartes entre États, alliances, dynamiques nationales et jeux diplomatiques. Cet article revient sur les grandes approches historiographiques  pour comprendre pourquoi 1914 n’est ni un accident, ni le fait d’un coupable unique.

Signature du traité de  Versailles le 28 juin 1919 (Tableau de William Orpen (détail)

L’après-guerre : l’Allemagne pointée du doigt

Dès la signature du Traité de Versailles, en 1919, une interprétation s’impose : l’article 231 désigne l’Allemagne et ses alliés comme responsables des destructions et des pertes causées par la guerre. 

Dans un climat où le besoin de justice et de réparation domine, cette clause — largement médiatisée — façonne la mémoire collective. En France, la presse et l’opinion publique soutiennent massivement cette lecture. À l’inverse, en Allemagne, la clause est perçue comme une humiliation nationale, alimentant une forte hostilité et le sentiment d’un « diktat ». 

Ainsi, dans l’immédiat après-guerre, l’historiographie — elle-même influencée par le contexte politique — se cristallise autour de la thèse d’une responsabilité allemande unique ou prépondérante.

Vers une approche partagée : les premières remises en cause

Dès les années 1920-1930, certains historiens commencent à nuancer la vision initiale. Loin de voir l’Allemagne comme seule responsable, ils mettent en avant un enchaînement complexe : alliances militaires rigides (Triple-Entente vs Triple-Alliance), nationalismes exacerbés, tensions économiques et impérialistes, instabilités dans les empires multiethniques (comme l’Empire austro-hongrois ou l’Empire ottoman), et détours diplomatiques dangereux. 

Dans cette optique, l’assassinat de l’héritier austro-hongrois à Sarajevo le 28 juin 1914 — acte symbolique — apparaît moins comme cause unique qu’élément déclencheur d’un engrenage déjà à l’œuvre depuis des années. 

Des historiens comme Sidney Bradshaw Fay ont ainsi défendu l’idée d’une responsabilité collective des puissances européennes, en mettant notamment en cause le système d’alliances. 

La révolution Fischer (1961) : l’Allemagne comme protagoniste principal

Dans les années 1960, le débat prend un nouveau tournant avec la publication de Les Buts de guerre de l’Allemagne impériale de Fritz Fischer. L’historien y défend une thèse forte : l’Empire allemand aurait nourri, bien avant 1914, des ambitions expansionnistes — coloniales, européennes, voire mondiales — et aurait envisagé la guerre comme un instrument pour les réaliser. 

Selon Fischer, la mobilisation allemande et le soutien à l’Empire austro-hongrois après l’attentat de Sarajevo ne sont pas des réactions défensives, mais des choix volontaires dans le cadre d’une stratégie longuement préparée. 

Cette interprétation provoque un véritable séisme dans le milieu académique allemand — et au-delà — car elle remet en cause l’idée d’un déclenchement involontaire ou collectif. Pour beaucoup, elle relance la piste d’une responsabilité majeure, sinon première, de l’Allemagne.

Vers une approche contemporaine pluraliste : la redécouverte du contexte et des acteurs périphériques

Depuis plusieurs décennies, l’historiographie s’éloigne des explications mono-causales. Le débat se réouvre, mais désormais avec davantage d’objectivité, grâce à l’accès à de nouvelles archives et à une volonté de dépasser les lectures influencées par les héritages politiques de l’après-guerre. 

Un exemple marquant : Les Somnambules : Été 1914, comment l’Europe a marché vers la guerre de Christopher Clark, publié en 2013, plaide pour une responsabilité collective. Il insiste notamment sur le rôle joué par la Serbie, dans un contexte balkanique explosif, et sur l’enchaînement fatal des décisions diplomatiques — presque comme des somnambules avancent sans savoir vers le désastre. 

Selon Clark (et d’autres historiens contemporains), l’Europe de 1914 est une poudrière — nationalismes, rivalités coloniales, course aux armements, alliances rigides, fragilité des empires multiethniques — dans laquelle de nombreux acteurs, qu’ils soient grandes puissances ou États périphériques, ont contribué à l’emballement.

Pourquoi le débat reste-t-il pertinent — enjeux historiographiques, politiques et mémoriels

Mémoire et justice historique : la question de la responsabilité n’est pas purement académique — elle a des conséquences symboliques, morales et politiques. Le choix de désigner un “coupable principal” ou de privilégier une responsabilité collective influence la manière dont chaque nation se perçoit dans l’histoire. 

Dépendance aux contextes contemporains : le regard des historiens n’est jamais totalement neutre. Dans l’immédiat après-guerre, le ressentiment et la quête de réparation ont guidé l’interprétation. Plus tard, la guerre froide ou la reconstruction européenne ont modifié les priorités et les approches. 

Un objet d’histoire vivant : la découverte d’archives, l’analyse des acteurs secondaires (États balkaniques, Empires fragiles, opinions publiques…) et le recul historique confèrent une dimension toujours renouvelée à la question des origines du conflit.

Un passé partagé, une responsabilité multiple

Le débat historique sur les causes de la Première Guerre mondiale montre combien l’histoire est un chantier ouvert. Si, pendant des décennies, l’idée d’une culpabilité allemande quasi absolue a dominé — façonnée par le traité de Versailles, les ressentiments post-guerre et les exigences de réparation —, l’historiographie moderne tend à rejeter l’idée d’un coupable unique.

La multiplicité des acteurs, des dynamiques nationales ou coloniales, des alliances, des nationalismes et des circonstances imprévisibles explique qu’aucun État, à lui seul, ne puisse porter la responsabilité exclusive de l’entrée en guerre. En 1914, toute l’Europe, dans ses élites comme dans ses périphéries, a contribué — volontairement ou involontairement — à l’embrasement.

Ce débat sur 1914 invite à réfléchir sur nos propres contextes contemporains. La mémoire des conflits, la manière d’attribuer la responsabilité, les enjeux diplomatiques, les alliances, les nationalismes, les tensions économiques et les effets domino… autant de facteurs qui, en 1914, ont conduit au pire.

Dans un monde globalisé où les alliances se recomposent, où les tensions géopolitiques persistent, comprendre la complexité des causes de la Première Guerre mondiale, c’est aussi se donner les moyens de prévenir les erreurs du passé. Un enseignement précieux pour les citoyen·ne·s de demain.

Quelques sujets de dissertation sur le thème

1. Les mémoires sont-elles un obstacle au travail de l’historien ?

Corrigé et commentaires méthodologiques
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2. La Première Guerre mondiale est-elle un événement mieux compris par l’histoire que par les mémoires ?

3. La mémoire de 14-18 est-elle aujourd’hui un facteur d’unité ou de division ?

4. Peut-on écrire une histoire “apaisée” de la responsabilité de 1914 ?

5. En quoi la mémoire de 1914-1918 a-t-elle influencé les relations franco-allemandes au XXe siècle ?

6. Peut-on parler d’une mémoire européenne de la Grande Guerre ?

7.La mémoire de la Première Guerre mondiale a-t-elle évolué depuis 1918 ?

8. Le rôle de l’historien est-il de construire ou de déconstruire les mémoires ?

9. Pourquoi les mémoires divisent-elles alors que l’histoire cherche à unifier ?

10. Une société peut-elle se construire sur des mémoires conflictuelles ?

11. Peut-on écrire l’histoire “à chaud” ?

12. En quoi les mémoires de la Première Guerre mondiale et de la Seconde Guerre mondiale s’opposent-elles ?

13. Quelles différences entre la mémoire de la Grande Guerre et celle du génocide des Juifs ?

14. Comment les historiens ont-ils fait évoluer notre compréhension des conflits du XXe siècle ?

15. Les usages politiques de la mémoire sont-ils les mêmes pour la Première et la Seconde Guerre mondiale ?

16. Pourquoi l’historiographie est-elle essentielle pour comprendre une guerre ?

17. Le passé est-il toujours accessible si la mémoire disparaît ?

18. Les mémoires officielles reflètent-elles réellement l’histoire ?

19. Les débats historiographiques permettent-ils d’approcher la vérité historique ?

20. Comment expliquer que les mémoires d’un même événement puissent être contradictoires ?

En 1914, les dirigeants européens se comportèrent comme des somnambules : lucides mais incapables de voir où les menaient leurs actes. 

Christopher Clark

Les Somnambules


Résumé audio

en préparation

Transcription
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A lire

1914 : comment l'Europe a marché vers la guerre


Ouvrage "Collector" :  Guerre 1914-1918: Les buts de guerre de l'Allemagne impériale par Fritz Fischer.