Urartu : le royaume oublié des montagnes

Oublié des manuels scolaires, Urartu fut pourtant l’un des royaumes les plus redoutés de l’Assyrie : une puissance des montagnes, bâtisseuse de citadelles et de canaux, au cœur du Caucase antique.


Lorsque l’on évoque les grandes civilisations de l’Orient ancien, ce sont souvent l’Égypte, la Mésopotamie ou encore les Hittites qui viennent spontanément à l’esprit. Pourtant, au cœur du plateau arménien et autour du lac de Van, a prospéré, entre le IXe et le VIe siècle avant notre ère, une puissance aujourd’hui largement méconnue : le royaume d’Urartu. Son nom résonne encore dans les inscriptions assyriennes, qui en firent un ennemi redouté, et dans l’archéologie moderne, qui en révèle peu à peu la richesse culturelle et la maîtrise technique.

Représentation du roi urartéen Sarduri II sur un char.

Un royaume de montagne

Urartu naît au IXe siècle av. J.-C., dans un environnement rude : hauts plateaux volcaniques, vallées encaissées, hivers rigoureux. Cette géographie lui confère à la fois une position défensive et des ressources variées : minerais abondants, pâturages, terres fertiles autour des lacs.

Le royaume se structure autour de forteresses monumentales en pierre, perchées sur des promontoires. Ces citadelles, comme celles de Van (Tushpa), Erebouni (près de l’actuelle Erevan) ou encore Argishtihinili, témoignent d’un art militaire et architectural impressionnant. Les murailles massives, les plans en terrasses et les temples dédiés au dieu suprême Haldi affirmaient à la fois la puissance militaire et la légitimité religieuse des rois.

Détail d'une  peinture murale d'Erebouni, un complexe fortifié  d'Urartu, VIIIe siècle av. J.-C.
Musée historique arménien, Erevan.

Un adversaire des Assyriens

Les sources principales sur Urartu proviennent… de ses ennemis. Les rois assyriens, du IXe au VIIe siècle av. J.-C., considéraient ce royaume comme un rival direct dans le contrôle du Croissant fertile et des routes commerciales du Caucase.

Les chroniques de Salmanazar III ou de Tiglath-Phalasar III décrivent des campagnes sanglantes contre les forteresses urartéennes. Mais ces témoignages hostiles révèlent aussi la force du royaume : capable de résister, de contre-attaquer, et même de menacer les frontières assyriennes. Pendant près de deux siècles, Urartu fit jeu égal avec l’Assyrie, une performance remarquable pour un royaume montagnard.

Bouclier du roi Argishti Ie, 
avec inscription cunéiforme sur le pourtour
(EvgenyGenkin, CC BY-SA 3.0 )

Ingénieurs et bâtisseurs

Au-delà de la guerre, Urartu se distingue par ses réalisations techniques. L’archéologie a mis en évidence des systèmes hydrauliques d’une grande sophistication : canaux creusés à flanc de montagne, réservoirs, digues permettant d’irriguer les terres et d’approvisionner les villes fortifiées.

Ces travaux rappellent que les royaumes de l’Orient ancien ne se limitaient pas à la conquête : ils étaient aussi des sociétés d’ingénieurs, capables d’organiser le travail collectif et de tirer parti de paysages exigeants.

Une identité culturelle originale

La langue d’Urartu, non sémitique et non indo-européenne, reste encore partiellement obscure. Elle était écrite en cunéiforme, adapté aux besoins du royaume. Les panthéons locaux, centrés sur Haldi, Teisheba (dieu de la tempête) et Shivini (dieu solaire), évoquent des affinités avec les traditions anatoliennes et caucasiennes.

Urartu constitue ainsi une passerelle entre les mondes : ni tout à fait mésopotamien, ni hittite, ni iranien, mais au croisement des influences.

Teisheba, divinité du panthéon urartéen : reconstitution d'un bas-relief, K. Gianjian.
(Réserve culturelle historique et archéologique d'Erebouni, Erevan)

La chute et l’héritage

À partir du VIIe siècle av. J.-C., Urartu subit les coups conjugués de l’Assyrie renaissante, puis des invasions scythes et mède. Vers 585 av. J.-C., le royaume disparaît des sources écrites. Mais son héritage ne s’éteint pas : les traditions, les forteresses et l’organisation territoriale influenceront durablement les populations du plateau arménien. Certains historiens considèrent même Urartu comme un ancêtre culturel du royaume d’Arménie, qui émerge peu après.

Un royaume redécouvert

Longtemps oublié, Urartu réapparaît au XIXe siècle grâce aux fouilles des voyageurs et archéologues dans la région du lac de Van. Depuis, les recherches se poursuivent, révélant des trésors : bas-reliefs, inscriptions, objets en bronze finement décorés.

Peu connu du grand public, Urartu mérite pourtant de figurer aux côtés des grandes civilisations de l’Orient ancien. Royaume de montagnes, de forteresses et de dieux de pierre, il incarne la richesse des mondes oubliés, à la croisée des empires.

Par la grandeur du dieu Haldi, Argishti, fils de Menua, bâtit cette puissante forteresse et nomma cette ville Erebouni pour la puissance du pays et la terreur de ses ennemis

inscription retrouvée à Erebouni, fondée par le roi Argishti Ier au VIIIᵉ siècle av. J.-C 


Il y a environ 2500 ans, le royaume d'Urartu dominait le haut-plateau arménien, autour du lac de Van (actuelle Turquie orientale).


Figurine en bronze d'une divinité  urartéenne.   musée de l'Ermitage/Evgeny Genkin, CC BY-SA 4.0 


Casque urartréen en bronze
(EvgenyGenkin, CC BY-SA 3.0 )



Un livre clair et facile à lire, une oeuvre monumentale. Jean-Pierre Mahé travaille depuis des années à l'écriture délicate de cette histoire de l'Arménie qui n'avait jamais été réalisée dans cette ampleur. 

L'Arménie est une nation " à la lisière des mondes ", sur la ligne de partage entre les grandes civilisations de l'Orient méditerranéen et de l'océan Indien. Appréhender la réalité d'un pays dont les frontières ont été si variables, montrer la continuité de sa culture nourrie par tant d'influences étrangères, la personnalité d'une nation dispersée aux quatre coins du monde au cours des âges, tel est le défi de cette histoire de l'Arménie.
Quinze chapitres, depuis les premières monarchies jusqu'à l'actuelle république, en passant par les invasions, le génocide et l'époque soviétique, composent ce récit enrichi au fil des pages d'émouvants témoignages qui croisent des archives toujours passionnantes. Mais le pays d'Ararat a connu, depuis Noé, plusieurs déluges et plusieurs renaissances successives. Loin d'engloutir le passé, ces cataclysmes l'ont gravé dans les couches les plus profondes de la conscience d'un peuple à l'identité singulière, resté fidèle à lui-même malgré les vicissitudes des siècles.