Le père de l’éducation moderne… n’a pas élevé ses propres enfants. Un paradoxe au cœur de sa vie et de son œuvre.
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) demeure l’une des figures majeures de la philosophie des Lumières. Auteur du Contrat social, des Confessions ou encore de l’Émile ou De l’éducation, il a profondément marqué la pensée politique et pédagogique moderne. Pourtant, derrière l’image du théoricien de la liberté, du défenseur de la bonté naturelle de l’homme et de l’apôtre de l’éducation, se cache une contradiction douloureuse : Rousseau confia successivement ses cinq enfants à l’Hospice des Enfants-Trouvés, les condamnant à un destin incertain, souvent tragique.
Maurice Leloir : illustration des Confessions, édition H. Launette & Cie, Paris, 1889
Rousseau se présente comme un penseur qui critique les institutions, la société de son temps et l’artificialité des mœurs. Dans Émile, publié en 1762, il développe une philosophie éducative fondée sur la nature, l’expérience et la liberté de l’enfant. L’ouvrage est devenu un texte fondateur de la pédagogie moderne. Or, au moment même où il théorise une éducation idéale, Rousseau ne s’occupe pas de ses propres enfants.
Entre 1746 et 1752, Rousseau vit avec Thérèse Levasseur, une lingère modeste qui sera sa compagne jusqu’à sa mort. De leur union naissent cinq enfants. Chacun d’eux est confié aux Enfants-Trouvés peu après la naissance. Dans ses Confessions, Rousseau reconnaît cet abandon, mais tente de le justifier : il se dit incapable de subvenir aux besoins d’une famille nombreuse, évoque l’absence de soutien de ses proches, et assure que l’institution offrirait à ses enfants une éducation et un avenir meilleur que ceux qu’il aurait pu leur garantir.
Ces explications n’ont jamais cessé d’interroger. D’un côté, Rousseau se présente comme un père responsable, soucieux de donner à ses enfants une chance de survie et d’éducation. De l’autre, l’écart entre son discours théorique et son comportement réel frappe les contemporains comme les commentateurs ultérieurs. Voltaire, qui ne manque jamais une occasion de railler son rival, ironise sur ce « philosophe de l’éducation qui commence par livrer ses enfants à l’hospice ».
L’abandon de ses enfants constitue l’une des zones d’ombre les plus notoires de la biographie de Rousseau. Il interroge sur le rapport entre la vie personnelle d’un penseur et la valeur de ses idées : peut-on dissocier l’œuvre du vécu ? Doit-on juger les théories éducatives de Rousseau à l’aune de ses défaillances personnelles?
Aujourd’hui encore, le cas Rousseau fascine autant qu’il choque. Ses réflexions ont nourri les idéaux de liberté, d’égalité et d’éducation qui irriguent nos sociétés contemporaines. Mais l’abandon de ses enfants rappelle que les philosophes, si grands soient-ils, restent des hommes traversés par leurs contradictions, leurs faiblesses et parfois leurs lâchetés.
Émile, ou De l'éducation" (1762)

Je ne puis être heureux que dans l’isolement ; et pourtant, j’ai fait des enfants que je ne puis élever.
Jean-Jacques Rousseau

par Maurice-Quentin de La Tour (via Wikimedia Commons)
Les Confessions : le texte intégral
Les Confessions est un livre autobiographique couvrant les cinquante-trois premières années de sa vie, jusqu'en 1765, il a été achevé en 1769.
Le philosophe affirme d'emblée que son entreprise est inédite : une peinture de soi vraie et sans détours. Les Confessions sont en effet une autobiographie dans lequel Rousseau parle de Jean-Jacques depuis son enfance. Étonnant de franchise, ses fautes, ses faiblesses, ses hontes même passent sous nos yeux avec non moins de vérité que la peinture des nobles instincts de son âme.
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