Saint-Pierre-et-Miquelon : l’archipel français de l’Atlantique nord

À quelques encablures des côtes canadiennes, un petit archipel battu par les vents témoigne d’une incroyable persistance française au Nouveau Monde. Saint-Pierre-et-Miquelon, terre de pêcheurs, de résistances et de rivalités, incarne une histoire à la fois modeste et héroïque : celle d’un bout de France qui a survécu à toutes les tempêtes.


Vue de Miquelon-Langlade depuis le Calvaire
(source : Murzabov, CC BY-SA 4.0)

Une présence française aux marges du monde

Tout commence au XVIᵉ siècle. Les navigateurs basques, bretons et normands sillonnent alors les bancs de Terre-Neuve, attirés par l’abondance de la morue de l’Atlantique nord. Jacques Cartier, lors de son premier voyage en 1536, mentionne déjà "les îles de Saint-Pierre " et "de Miquelon" (du basque Mikelon : Michel ). Ces rochers brumeux deviennent rapidement des bases saisonnières pour les pêcheurs français.

Sous le règne d’Henri IV puis de Louis XIV, la France consolide sa présence dans cette région stratégique, mais fragile. Car au-delà des bancs de morue se joue une bataille pour le contrôle de l’Atlantique nord : Anglais, Français et Espagnols s’y disputent les routes maritimes et les ressources halieutiques. Saint-Pierre-et-Miquelon devient un avant-poste de la Nouvelle-France — mais aussi une cible récurrente.

Les îles ballottées par les guerres européennes

Les XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles sont une suite de conquêtes et de pertes. L’archipel passe plusieurs fois sous contrôle britannique, au gré des guerres entre les deux puissances. En 1713, le traité d’Utrecht, qui met fin à la guerre de Succession d’Espagne, est un coup dur : la France perd Terre-Neuve, l’Acadie et ses droits sur les bancs de pêche. Saint-Pierre-et-Miquelon est alors abandonné.

Mais en 1763, au traité de Paris qui clôt la guerre de Sept Ans, la France obtient la restitution de l’archipel — une maigre consolation après la perte du Canada. Ces îles minuscules deviennent le dernier bastion français dans l’Atlantique nord. Les pêcheurs s’y réinstallent, mais la stabilité reste précaire : les Britanniques les déportent à nouveau pendant la guerre d’Indépendance américaine, avant qu’ils ne reviennent une fois la paix signée.

Ainsi, à la veille de la Révolution française, Saint-Pierre-et-Miquelon incarne déjà une forme de persévérance nationale : un confetti français qui résiste, malgré tout, à la marée impériale britannique.

La conquête de Québec en 1759 est la source du traité de Paris qui, en 1763, redonne Saint-Pierre-et-Miquelon à la France. (Peinture de Hervey Smythe)

Une économie tournée vers la mer et la morue

Pendant tout le XIXᵉ siècle, la vie de l’archipel est rythmée par la pêche à la morue. Les grandes goélettes partent pour les bancs de Terre-Neuve ; les femmes salent et sèchent le poisson sur les « graves » ; les relations avec les ports de Saint-Malo, Fécamp ou Bayonne sont constantes. La population, issue de colons bretons, normands et basques, forge une identité maritime et résiliente.

Mais cette économie reste vulnérable. Les crises de surpêche, la concurrence des Canadiens et des Américains, les conditions climatiques extrêmes rendent la vie difficile. Pourtant, Saint-Pierre-et-Miquelon garde un statut particulier : celui d’un territoire français en Amérique du Nord, vivant à l’heure de Paris tout en regardant vers Terre-Neuve.

La morue fait vivre Saint-Pierre-et-Miquelon en 1887
(source J. Thouleu/gallica.bnf.fr/BnF)

L’épisode singulier de la Prohibition

Dans les années 1920, un événement inattendu bouleverse la vie locale : la Prohibition américaine. Tandis que les États-Unis interdisent la vente d’alcool (1920-1933), Saint-Pierre-et-Miquelon devient un entrepôt de contrebande florissant. Les entrepôts débordent de whisky écossais et de rhum des Caraïbes, que les trafiquants font passer en catimini vers la côte est des États-Unis.

Des fortunes se bâtissent en quelques années ; la population double ; les bars et les hôtels se multiplient. On raconte que les quais étaient remplis de caisses estampillées « Dewar’s » et « Canadian Club ». L’âge d’or du trafic prend fin avec l’abrogation de la Prohibition, mais il laisse dans la mémoire locale un parfum d’audace et de liberté.

La Seconde Guerre mondiale : la fidélité à la France libre

En 1940, lorsque la France capitule, Saint-Pierre-et-Miquelon se trouve sous la tutelle du régime de Vichy. Mais la situation bascule le 24 décembre 1941 : les Forces françaises libres du général de Gaulle, commandées par l’amiral Muselier, débarquent sur l’archipel sans effusion de sang et rallient la population à la France libre. Ce coup d’éclat provoque la colère de Washington et d’Ottawa, qui redoutent une extension du conflit dans la région, mais il consacre symboliquement la fidélité de Saint-Pierre-et-Miquelon à la France résistante.

Cet épisode héroïque, encore célébré aujourd’hui, marque profondément la mémoire collective : sur ces îles isolées, la France libre a trouvé l’un de ses tout premiers territoires ralliés.

Un territoire français d’Amérique

Après la guerre, l’archipel entre dans la modernité. Devenu territoire d’outre-mer en 1946, puis collectivité territoriale à statut particulier, Saint-Pierre-et-Miquelon reste étroitement lié à la métropole. Mais l’économie traditionnelle décline : la morue, surpêchée, disparaît des bancs ; les quotas de pêche imposés dans les années 1990 ruinent de nombreuses familles.

Depuis, l’archipel s’est tourné vers la diversification : services publics, tourisme, recherche sur les énergies marines, coopération régionale avec le Canada. Sa population, d’environ 6 000 habitants, vit aujourd’hui entre deux mondes — européenne par la langue et les institutions, nord-américaine par la géographie et les influences culturelles.

La ville de Saint-Pierre et l'Ile aux Marins
(souce :  Wikipedia/Bernard975, CC BY-SA 4.0 )

Un symbole de persistance

Saint-Pierre-et-Miquelon, ce confetti de France dans l’Atlantique nord, incarne à sa manière une leçon d’histoire. Ni colonie prospère ni simple reliquat, il témoigne de la ténacité française à maintenir une présence dans les marges du monde. Ces îles, battues par les vents, rappellent que l’histoire coloniale n’est pas faite que de conquêtes et d’empire, mais aussi de fidélités minuscules, de communautés obstinées, et d’identités forgées à la croisée des continents.

photo : J&L Renard


Une chanson hommage à Saint-Pierre-et-Miquelon, le dernier bastion français d’Amérique du Nord. Entre brume, mer et mémoire, Noir Lumière raconte cinq siècles d’histoire et de courage.


Sur ces îles battues par les vents, la France ne s’est jamais retirée. Elle y a planté son drapeau comme on plante un souvenir, et le souvenir a tenu bon.

Jean-Christophe Cassard, historien

 


église de Miquelon
(source : Murzabov, CC BY-SA 4.0)

îles de St Pierre et de Miquelon ( 1782)

(source gallica.bnf.fr/BnF)

Saint-Pierre-et-Miquelon vu du ciel
(source : Doc Searls, CC BY 2.0)


L'archipel en chiffres

 

  • Superficie : 242 km²

  • Population : environ 6 000 habitants

  • Langue : français

  • Monnaie : euro

  • Statut : collectivité d’outre-mer (COM) d

  • Capitale : Saint-Pierre

  • Activités principales : services publics, pêche artisanale, tourisme, énergies marines


photo : J&L Renard


L'hiver à Saint-Pierre
(source : Wikipedia/CC-BY-SA-3.0)

 

port de Saint-Pierre en hiver
(source : Wikipedia/CC-BY-SA-3.0)

cargo-ferry arrivant à Saint-Pierre en 2005
(source : Wikipedia/CC-BY-SA-3.0)