L'histoire d'une imposture et l'un des procès les plus célèbres du XVIe siècle.
Martin Guerre (et son épouse Bertrande)
(Erogers148, CC BY-SA 4.0)
En 1538, Martin Guerre et Bertrande de Rols se marient dans le village d’Artigat en Ariège pyrénéenne. Les deux époux sont encore des adolescents, Martin n’a que 14 ans et Bertrande a tout juste 12 ans. Le père de Martin est un basque prospère qui s’est établi à Artigat où il a monté une fabrique de tuiles et briques. La famille de Bertrande, également aisée, est établie en Ariège de longue date.
Le jeune couple tarde à avoir un enfant. Bertrande se pensant victime d’un sort maléfique, consulte un prêtre qui lui recommande de manger des hosties et des fouaces bénites. Le conseil semble avisé car peu après, en 1548, Bertrande donne naissance à un fils qui sera prénommé Sanxi.
L’avenir s’annonce radieux jusqu’à ce que le père de Martin accuse son fils de lui avoir volé un sac de grain. Chez les basques, voler ses parents est un crime impardonnable. Martin se voit contraint de s’enfuir en Espagne, abandonnant femme et enfant.
Huit années passent. Martin est presque oublié de tous quand, en 1556, il réapparait au village. C’est à présent un homme mûr, il a un peu maigri mais il a gardé sa fière allure. Tout le village fête son retour, Bertrande, la première, trop heureuse de retrouver son mari. La vie reprend comme avant et le couple donne naissance à deux filles dans les trois années qui suivirent le retour de Martin.
Un conflit d’argent va cependant bientôt éclater au sein de la famille. Depuis la mort du père de Martin, c’est Pierre Guerre, l’oncle de Martin, qui gère l’héritage familial mais Martin réclame sa part d'héritage. L’oncle refuse et commence à avoir des doutes sur la véritable identité de Martin. Ne serait-il pas un imposteur ? Il fait part de ses doutes à Bertrande qui lui assure que son mari est bien le vrai Martin Guerre, y compris dans l"intimité. Les sœurs de Martin sont également catégoriques. Pierre n’est cependant pas convaincu, pour lui ce Martin n’est pas le vrai. Il persuade la moitié du village que le mari de Bertrande est un imposteur. Pour ajouter au doute, en 1559, un soldat démobilisé, de passage à Artigat, raconte qu’il connait Martin Guerre et que ce dernier a perdu une jambe lors du siège de Saint Quentin où les Espagnols affrontaient l’armée française .
Ces rumeurs tombent mal pour Martin Guerre qui est par ailleurs accusé d’avoir mis le feu à la grange de son voisin, Jean d'Escornebeuf, seigneur de Lanoux. Le sénéchal de Toulouse le fait mettre en prison et ajoute un nouveau chef d’accusation : « usurpation du lit conjugal d'un autre homme ». Martin est finalement acquitté et remis en liberté faute de preuve et grâce à Bertrande qui témoigne en sa faveur. Martin ne va pas rester pas longtemps en liberté car son oncle vient de découvrir des preuves de la vraie identité de Martin. L’imposteur se nomme en réalité Arnaud du Tilh, originaire du village proche de Sajas. Un nouveau procès se tient à Rieux en Minervois en 1560. Quelque 150 témoins sont entendus, ils sont nombreux à affirmer que l’accusé est bien Arnaud du Tilh, surnommé Pansette dans son village d’origine, Bertrande semble troublée mais elle refuse de reconnaître que l’accusé n’est pas son véritable époux. Le juge , convaincu du contraire, condamne l’accusé à mort pour usurpation d’identité avec la circonstance aggravante, impardonnable à l’époque, d’avoir violé Bertrande en portant atteinte au sacrement du mariage par abus de confiance.
L’inculpé ne se démonte pas. Il fait appel devant le parlement de Toulouse. Un nouveau procès commence. L’affaire semble toujours aussi confuse mais le prévenu se défend bien. Il semble sur le point d'obtenir gain de cause quand un coup de théâtre se produit : un homme ayant une jambe de bois fait son entrée dans la salle. Cette fois c’est bien le vrai Martin Guerre en personne qui est là. Il confirme qu’après sa fuite en Espagne, il s’était enrôlé dans l’armée espagnole et qu’il avait perdu sa jambe lors de la bataille de Saint-Quentin. Il explique qu'il avait partagé quelque temps sa vie de soldat avec Pansette et qu’il lui avait fait, bien imprudemment, des confidences concernant son passé à Artigat, y compris avec des détails de sa relation avec son épouse.
Bertrande, en pleurs, reconnut son vrai Martin et le prit dans ses bras. Les dénégations de l'imposteur perdirent dès lors toute crédibilité. Arnaud du Tilh finit par avouer. Il fut condamné à mort le 12 septembre 1560, puis pendu quelques jours plus tard.
Voir ci-contre, colonne de droite, les dessous politiques de l'affaire.
Pierre Brueghel le Jeune, L'Avocat du village (CC0)
Martin Guerre a inspiré de nombreux romans, pièces de théâtre, film et même jeux vidéo. En 1982, Le Retour de Martin Guerre, film réalisé par Daniel Vigne sur un scénario coécrit par Natalie Zemon Davis et le scénariste Jean-Claude Carrière, joué par les acteurs Gérard Depardieu et Nathalie Baye, est une version assez proche de la réalité historique.
Le sérieux a toujours été l’ami des imposteurs.
Ugo Foscolo
Histoire thématique
Les dessous de l’affaire
Pour la majorité des historien, Bertrande était consciente de l’imposture. Faire semblant de ne rien voir lors du retour du faux Martin présentait des avantages. Elle retrouvait un mari qui la traitait bien et préservait le patrimoine familial. Elle conservait une réputation d’épouse et de mère irréprochable. C’est pour cela qu’elle aurait soutenu l'imposteur aussi longtemps.
Les proportions prises par l’affaire s’expliquent par ailleurs par des raisons politiques. En effet les élections pour les députés aux États de Languedoc ont lieu en 1560. Le premier président du parlement, Jean de Mansencal, catholique, confie l’organisation du procès à Jean de Coras, candidat protestant dont on dit qu’il a des chances d’être élu. Mansecal est un malin. Il dispose d’une information capitale : le vrai Martin Guerre a été retrouvé dans un hospice pour handicapés. Mansencal fait en sorte que Martin Guerre ne soit pas accusé de trahison pour s’être battu du côté espagnol contre le royaume de France puis il prépare en secret son arrivée au procès de Toulouse. Il laisse Coras se mettre en avant et se donner le beau rôle de celui qui va faire innocenter un homme injustement accusé. Coras ne lésine d'ailleurs pas sur les moyens pour mettre en scène le procès. Michel de Montaigne et les plus grands juristes de France sont invités.
Le 12 septembre 1560, le superbe Coras termine un grand discours concluant à l’innocence de l’homme présent dans le box des accusés quand un unijambiste, le vrai Martin Guerre, fait une entrée théâtrale dans la salle d’audience. Bertrande et les quatre sœurs reconnaissent le vrai Martin. Arnaud du Tihl, démasqué avoue et sera pendu. Coras ridiculisé ne se présentera même pas aux élections et Mansencal sera brillamment élu..
Jean de Mansencal
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