Le centre du monde basculera vers l'océan arctique

Vers 2050, la banquise arctique devrait avoir quasiment disparu.. De nouvelles routes maritimes vont alors bouleverser l'équilibre géopolitique du monde.

 

Projection Mercator alternative de la Terre, le pôle nord étant réglé à 19°20′S 12°30′W.
Poulpy, CC BY-SA 3.0

Au courant de ce siècle,  la banquise devrait avoir quasiment disparu. Dès 2050, la dislocation progressive de la banquise et le rétrécissement de la surface du pergélisol des terres du grand nord vont bouleverser le panorama arctique.
De nouvelles routes maritimes s’ouvriront alors pour relier les divers continents en passant par le pôle. Le trajet de la Chine à l’Europe est bien plus court par la côte sibérienne que par le canal de Suez. La liaison Londres-Vladivostok est de 11000milles marins par le canal de Suez, mais de seulement 7.670 milles par le détroit de Béring. Pour aller de Hambourg à Vancouver, il faut compter 14.700 milles par le cap Horn, 9.350 milles par le canal de Panamá et 8.090milles par la route du pôle. La ligne Rotterdam - Tokyo représente entre 21 et 23 000 km selon que l’on emprunte le canal de Suez ou le canal de Panama mais seulement 14000 km par la voie sibérienne. Pour les navires reliant l’Asie et l’Europe, l’économie dépasse le million de dollars par voyage. Le trafic dans le détroit de Béring a déjà plus que doublé ces dernières années. Lors du forum arctique organisé en 2017 à Arkhangelsk, grand port sur la mer Blanche au nord-est de Saint- Pétersbourg, le président Poutine affichait l’objectif russe : parvenir à un flux de 30 millions de tonnes de marchandises le long de la voie du nord soit 20 fois plus qu’actuellement. C’est dans cette perspective que les Russes vont construire, avec des investisseurs chinois, un nouveau port en eaux profondes à Arkhangelsk, relié par une nouvelle voie de chemin de fer à l’Oural et à la Sibérie.

Les nouvelles routes maritime du nord

 

Il fut un temps où la Norvège dominait le monde nordique du Groenland au Danemark en passant par l’Islande, les îles Féroé et la Finlande. Aujourd’hui la Norvège n’est plus aussi impériale mais elle est un des pays les plus impliqués, pacifiquement, dans la mondialisation. Très active au sein du Conseil de l’Arctique , la Norvège dispose d’infrastructures de premier plan comme le port de Kirkenes (libre de glace toute l’année) et le pays devient une plaque tournante des navettes polaires. Plus au sud, selon Björn Gunnarsson, directeur du Centre de logistique du Grand Nord (CHNL), l’Islande pourrait devenir un point de connexion central ouvrant vers les 3 routes polaires, celle du Nord-est sibérien, celle du Nord-ouest canadien et celle directe par le pôle Nord si le réchauffement climatique est suffisant pour le libérer des glaces.

La Chine, qui a obtenu en 2013 un siège d’observateur au Conseil de l’Arctique, s’intéresse déjà aux routes maritimes polaires. La ville de Hunchun, située à la fois près de la Corée du Nord et de la Russie, pourrait devenir une plateforme portuaire de l’importance de Singapour dans les prochaines années. Le Chinois Cosco, l’un des plus grands armateurs mondiaux de porte-conteneurs, annonce déjà des projets de lignes par la voie du Nord-Ouest et les affaires maritimes chinoises viennent de publier leur premier manuel d’instructions pour la navigation polaire. Enfin la République Populaire qui disposait depuis quelques années d’un navire de recherche spécialisé pour les expéditions arctiques vient de lancer le premier brise-glace entièrement fabriqué en Chine.

Le Canada, membre fondateur du Conseil de l’Arctique et deuxième puissance régionale après la Russie, est aussi appelé à jouer un grand rôle dans cette région du monde. Il compte développer la route maritime du Nord-ouest, le pendant de la route sibérienne du Nord-est. Ce passage est toutefois beaucoup plus difficile: le cheminement est tortueux dans l’archipel désertique du nord canadien où les infrastructures sont presque inexistantes contrairement à la voie sibérienne qui dispose le long de ses côtes de ports et de bases pouvant secourir les navires en détresse. Les difficultés de navigation étant liées à la présence des glaces, le développement maritime de la route de l’Est dépendra en grande partie de l’ampleur du réchauffement climatique.

L’exploitation des hydrocarbures devrait par ailleurs se développer à partir de nouveaux gisements importants de gaz ou de pétrole identifiés en région côtière, sur les fonds du plateau continental. Selon une étude de l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS), l’Arctique recèlerait 13 % des réserves mondiales de pétrole et 30 % de celles de gaz. L’Arctique est aussi riche de minerais : cuivre, or, diamants, nickel, etc.

Avec l’essor du Grand Nord, des villes nouvelles vont apparaître. Laurence C. Smith, un géographe de l’Université de Californie, qui connaît bien la zone arctique pour y avoir conduit de nombreuses missions, prévoit l’émergence de villes importantes au nord du Canada, au Nunavik, au Nunavut et dans les Territoires du Nord-ouest. Il cite le précédent de Fort McMurray, au cœur de la forêt boréale dans la province d’Alberta, qui a connu une des plus fortes croissances du pays grâce à une gigantesque réserve de sable bitumineux. Comme tous les autres États arctiques, le Canada investit lourdement pour relier son grand nord au reste du pays. Ainsi, une grande route d’une dizaine de mètres de large reliera la ville d’Inuvik, dans les Territoires du Nord- Ouest, au village inuit de Tuktoyaktuk, sur les rives de l’océan Arctique.

Les opportunités économiques qui apparaissent dans le Grand Nord canadien sont toutefois assorties de nombreux défis : problèmes sociaux et sanitaires dans les communautés autochtones, sauvetage des espèces animales menacées, préservation de l’environnement, etc.

Le Groenland, deuxième plus grande île du monde, est un autre territoire polaire en mutation. Sa superficie est égale à six fois celle du Japon mais, avec seulement 57 000 habitants, sa population est comparable à celle de la petite principauté de Monaco.

Outre des réserves d’hydrocarbures, le Groenland renfermerait 600 000 tonnes d’uranium et, à lui seul, environ un quart des réserves mondiales de terres rares, métaux indispensables pour la fabrication des smartphones et des ordinateurs. Les ressources naturelles de l’île attirent donc de plus en plus d’investisseurs étrangers.

Parmi les grands projets en cours, celui de Kvanefjeld, deuxième gisement au monde de terres rares, sixième réserve mondiale d’uranium et source de quelques autres minerais recherchés comme le fluorure de sodium. La mine est gérée par une société australienne, dans laquelle le Chinois Shenghe vient de prendre 12,5 % du capital en attendant de monter sa participation à 60 % quand le site atteindra son plein développement. Cet investissement, stratégique pour les Chinois qui jouissent déjà d’un quasi-monopole sur les terres rares, illustre à la fois les rivalités et les coopérations en zone arctique.

Rattaché à la couronne danoise, le Groenland, peuplé à 90 % d’Inuits, bénéficie d’une très large autonomie. Ce statut lui a déjà permis, en 1985, de décider par référendum de sortir de l’Union européenne à laquelle le Danemark avait adhéré en 1973. Le Groenland cherche à présent à se rapprocher de ses voisins d’Amérique. Kim Kielsen, le premier ministre groenlandais, a ainsi initié une coopération avec le Nunavut, autre territoire inuit dont le Canada a consacré l’autonomie en 1999. Durant l’été, Air Greenland propose, deux fois par semaine, des vols directs entre Iqaluit, la capitale du Nunavut, et Nuuk, la capitale du Groenland.

Si la proposition, en 2019, du président Trump de racheter le Groenland aux danois a été rejetée par Copenhague, l’idée n’était pas aussi saugrenue qu’il n’y paraît. Souvenons-nous de l’Alaska que les États-Unis ont racheté, en 1867, au tsar Alexandre II pour renflouer les caisses vides de la Russie. En accord avec les Danois, les Groenlandais ont créé une structure spécifique chargée de préparer l’indépendance d’ici une dizaine d’années quand les rentrées financières liées à l’essor minier le permettront. Les futurs dirigeants d’un Groenland totalement libéré de la tutelle danoise pourraient alors ne pas exclure une forme d’association avec les Américains.

 

(1)Le Conseil de l’Arctique les huit États circumpolaires (Canada, Danemark, États-Unis, Finlande, Islande, Norvège, Russie, Suède), sept organisations représentant les peuples autochtones, douze États dits observateurs qui peuvent assister aux débats mais n’ont pas de droit de vote, et vingt organisations observatrices gouvernementales ou non.

 

Article extrait de l'ouvrage " L'Apogée, l'avenir en perspective" de J. Carles et M. Granger, reproduit avec la permission des auteurs


L'avenir est un miroir sans glace.

Xavier Forneret


Cet article est un extrait de l'ouvrage " L'Apogée, l'avenir en perspective" de J. Carles et M. Granger, reproduit avec la permission des auteurs

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Le Conseil de l'Arctique

Le Conseil de l’Arctique les huit États circumpolaires (Canada, Danemark, États-Unis, Finlande, Islande, Norvège, Russie, Suède), sept organisations représentant les peuples autochtones, douze États dits observateurs qui peuvent assister aux débats mais n’ont pas de droit de vote, et enfin vingt autres organisations invitées aussi comme observatrices, gouvernementales ou non.

Membres permanents en bleu foncé et membres observateurs en bleu clairs.




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