Le protectionnisme, un vieux réflexe américain

Publié le 30 juillet 2025 à 09:17

Le protectionnisme est-il une dérive populiste ou un vieux réflexe stratégique américain ?

De Hamilton à Trump, les États-Unis n’ont jamais vraiment cessé de protéger leurs frontières économiques. Retour sur une tradition méconnue… mais bien vivante.


À en croire certains commentateurs, le virage protectionniste opéré par Donald Trump à partir de 2017 constituerait une rupture brutale dans l’histoire économique des États-Unis, jadis champions autoproclamés du libre-échange. Ce récit, largement répandu, oublie cependant une constante de la trajectoire américaine : le protectionnisme n’est pas une anomalie trumpienne, mais un reflexe national récurrent, profondément enraciné dans la construction même de la puissance américaine.

Dès la fin du XVIIIe siècle, le jeune État fédéral, sous l’impulsion d’Alexander Hamilton, érigeait des barrières tarifaires pour protéger ses industries naissantes face à la domination britannique. Au XIXe siècle, les droits de douane figuraient parmi les plus élevés du monde industrialisé, au point de devenir l’un des piliers budgétaires de l’État fédéral. Le protectionnisme n’était pas un tabou : il était un outil assumé de souveraineté économique et de développement industriel. Le Nord manufacturier et républicain en faisait même un marqueur politique contre le Sud libre-échangiste et agricole.

Cette logique s’est poursuivie jusqu’au début du XXe siècle, culminant avec la loi Hawley-Smoot de 1930, tristement célèbre pour avoir contribué à l’aggravation de la Grande Dépression mondiale. Ce fut un tournant : à partir de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se posent en architectes d’un ordre commercial international ouvert, fondé sur des règles multilatérales (GATT, puis OMC), tout en conservant la possibilité de défendre leurs intérêts via des mesures sectorielles ciblées.

Mais à mesure que le déficit commercial se creuse, que les délocalisations se multiplient, et que la Chine s’impose comme rivale stratégique, le récit du libre-échange se fissure. Trump, en dénonçant les « mauvais accords », en imposant des tarifs douaniers massifs sur les importations chinoises, et en invoquant la sécurité nationale pour taxer l’acier européen, n’a pas inventé un nouvel isolationnisme économique : il a réactivé un réflexe historique, celui de l’Amérique qui se protège pour redevenir forte.

Sous Biden, ce retour au protectionnisme ne s’est pas inversé. Il a simplement changé de justification. Les subventions massives à l’industrie verte prévues par l’Inflation Reduction Act ou le CHIPS Act ne se contentent pas de verdir l’économie américaine : elles constituent une forme de protectionnisme industriel assumé, légitimé cette fois par l’urgence climatique, la guerre en Ukraine ou la compétition technologique avec Pékin.

Derrière les mots différents – souveraineté, transition, relocalisation – une constante demeure : les États-Unis recourent au protectionnisme chaque fois que leur leadership économique est perçu comme menacé. Ce réflexe n’est ni populiste, ni accidentel. Il est un trait structurel de la puissance américaine, qui ne croit au libre-échange qu’à condition d’en sortir vainqueur.

Jacques Carles

 


Donnez-nous un tarif protecteur et nous aurons la plus grande nation du monde.

Abraham Lincoln (1847)


La chanson d'Amalfi sur le protectionnisme


Constante historique

«Quand les États-Unis perçoivent une menace à leur suprématie économique, ils ferment les frontières commerciales — temporairement, stratégiquement, mais toujours résolument. 

Les fondations protectionnistes (1789–1860)

  • 1789 : Premier Tariff Act – financement de l’État + premières protections industrielles

  • 1791 : Rapport sur les manufactures (Alexander Hamilton) – appel à protéger les industries naissantes

  • 1828 : « Tarif des abominations » – droits de douane records, crise en Caroline du Sud

  • Opposition Nord/Sud : Nord protectionniste (industrie), Sud libre-échangiste (agriculture)

Âge d’or du protectionnisme (1861–1930)

  • 1861 : Tarif Morrill – protectionnisme renforcé durant la guerre de Sécession

  • 1890 : Tarif McKinley – tarifs très élevés, symbole d’un État pro-industrie

  • 1920s : Protectionnisme ambiant, malgré la croissance

  • 1930 : Loi Hawley-Smoot – explosion des droits de douane → aggravation de la Grande Dépression

Parenthèse libérale (1945–1980)

  • 1947 : Création du GATT – les États-Unis promeuvent le multilatéralisme

  • 1960s–70s : Réduction progressive des barrières tarifaires

  • Mais : maintien de mesures ciblées (textile, acier, agriculture)

Protectionnisme stratégique (1980–2000)

  • 1981 : Accords volontaires d’exportation avec le Japon (automobile)

  • 1994 : Signature de l’ALENA – virage vers les accords régionaux

  • Débats sur la désindustrialisation et les excédents commerciaux de partenaires

 Le protectionisme  affirmé(2017–2024)

Trump 1 (2017–2021)

  • Guerre commerciale contre la Chine

  • Taxes sur acier, aluminium (UE, Chine)

  • Renégociation de l’ALENA → USMCA

  • Discours « America First »

Biden (2021–2024)

  • Maintien des tarifs chinois

  • Inflation Reduction Act (2022) : subventions massives aux industries US

  • CHIPS Act : soutien aux semi-conducteurs

  • Néo-protectionnisme « vert » et géostratégique

Trump 2 (2025 - ?)  : vers un protectionnisme systémique et agressif envers tous les pays.



Les chants du dedans d'Amalfi